Matelassier du faubourg – Episode 6

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Auteur : Les Matelassiers Le Briand

Faire l’expérience de la clandestinité, on peut imaginer que c’est réservé à quelques aventuriers privilégiés, plutôt en temps de guerre, et à condition d’aller se perdre dans les méandres de quelques organisations secrètes, terroristes, espionnage, contre-espionnage, N’ième colonne, lendemains qui chantent…

Pratiquement, ce ne devrait plus être que de l’histoire ancienne. Il y aurait bien encore une petite possibilité du côté de l’immigration sauvage, mais lorsque l’on naît du mauvais côté de la convention de Schengen, inutile de rêver.

Et bien non ! Et je peux vous l’affirmer, tout ça est faux, puisque je l’ai moi-même expérimenté, ici, chez nous.

Je m’apprêtais donc à devenir matelassier-litier. Mon apprentissage, sur le tas, était bien avancé, j’avais remplie à toutes mes obligations, inscriptions, et formalités diverses : tout devait prendre effet au premier janvier 2000. Le volet financement, était lui aussi bouclé : j’empruntais un somme égale au prix de cession du fond, et, pour le reste, je puisais dans ma cassette.

Depuis toujours, Jacques avait ces comptes professionnel et personnel à l’agence de quartier du crédit Lyonnais. Tout naturellement, je me rapprochais d’eux, y ouvrait le compte de la future entreprise, leur adressait ma demande de crédit. Leur proposition me convenait, tout allait pour le mieux, et le contrat définitif n’était plus qu’une formalité de principe.

Et le temps passa. Nous en étions rendus à la fin novembre, et toujours aucunes nouvelles ! Concernant Jacques, les choses étaient on ne peut plus claires, et ce depuis le premier jour : quoi qu’il arrive, il arrêtait tout le 31 décembre son activité de matelassier-litier.

Ainsi, tout au long du mois de novembre je commençais à devenir de plus en plus nerveux. J’avais beau harceler ma banque, je ne voyais rien venir : c’était dans les tuyaux, ils ne pouvaient rien de plus, il fallait attendre.

Début décembre, Jacques dans son pragmatisme d’artisan de la vieille école me calma en me disant que finalement ce n’était pas bien grave. Il y aurait bien quelques jours de retard, mais il se ferait radier tout de même du registre des métiers. Et dès que j’aurais les fonds, le temps de tout faire acter par un avocat, publier les annonces légales, etc, etc… Il serait toujours temps pour moi, ensuite, de régulariser ma situation administrative. Soit!

Les fêtes de fin d’année arrivèrent. C’était la fermeture annuelle entre noël et le jour de l’an, et je n’avais toujours pas d’acceptation pour mon crédit. C’est ainsi, que le premier lundi du mois de janvier de l’an 2000, je me retrouvais à la tête d’un atelier clandestin.

Sans réelle existence légale, la maison continua pourtant, l’air de rien, d’être ce qu’elle avait toujours été, les papiers en moins. Je n’en étais pas propriétaire, Jacques n’en était plus le patron, s’il y avait eu un grave problème, du type incendie, gros accident corporel… ça aurait été un sacré foutoir pour faire fonctionner les assurances, identifier les responsabilités…

Pourtant, aujourd’hui, si je puis me permettre de le dire aussi brutalement, finalement la différence n’est pas celle que l’on peut imaginer : il y a quelque chose d’extrêmement confortable, à être hors la loi.

Sans papier, on ne craint que la police. Alors, on s’en méfie, on reste sur ces gardes. Tandis qu’en étant parfaitement en règle, on devient à certains égards plus vulnérable. On est confiant de sa bonne foi, alors que l’adversité se niche tout partout. Clients et fournisseurs peuvent toujours vous ourdir un mauvais coup, mais ça, avec patente ou pas, tout le monde est logé à la même enseigne.

Par contre, le papier timbré vous met à la merci des caisses sociales, de l’inspecteur du travail, du comptable, du fisc… ils vous attendent au tournant, et on ne sait ni de qui, ni quand, va surgir la prochaine attaque, celle qui vous mettra peut-être à bas.

Toujours est-il qu’il m’a fallu patienter jusqu’au début du mois de mars, pour que tout rentre à peu près dans l’ordre. Mi-janvier, la bonne nouvelle arrivait enfin : je n’avais plus qu’à passer à l’agence pour signer. Ma femme aussi, ça c’était prévu, elle devait être caution. Par contre, quand la fille au téléphone, ma conseillère, continua la liste : mon père, ma mère ; ce fut une drôle de surprise.

Dans un tout premier temps, ça avait effectivement été évoqué, mais je m’étais tout de suite fâché : j’empruntais par confort, et à mon age, solliciter la caution de mes parents, pour une somme finalement plutôt modeste au regard des comptes de la boite, pas question.

Le débat était théoriquement clos. Je rappliquais donc dare-dare à l’agence pour comprendre quelle pouvait être l’embrouille. Et là, encore plus fort, je découvrais que l’autre point de la négociation sur lequel j’avais particulièrement insisté ; et c’était un conseil aviser du formateur de la chambre des métiers pour le stage de préparation à l’installation : éviter à tout prix la caution solidaire ; était lui aussi passé aux oubliettes. Toutes les cautions devenaient solidaires!

Alors que tout était convenue, par je ne sais quelle lubie, ni dans quelles hautes sphères de la banque s’était opéré un revirement aussi inattendu que malhonnête. J’avais le couteau sous la gorge.

Malgré sa gentillesse, Jacques avait déjà bien patienté, je ne pouvais décemment pas lui en demander plus, me trouvant ainsi dans l’impossibilité de repartir à zéro, en tout cas dans des délais raisonnables, avec pour corollaire de devoir d’accepter leurs nouvelles conditions.

C’était sans compter avec ma colère! Je me suis passé d’eux. En à peine plus de 24h j’avais mobilisé toute la smala, réunis l’argent, il n’y avait plus qu’à prendre rendez-vous chez l’avocat. Ce qui est drôle ce que je suis sûre qu’avec ce dernier contre temps, qui certes ne fut pas le moindre, j’avais peut-être gagné trois au quatre jours sur le calendrier. Car avec la banque, après la signature du contrat, il aurait fallu que ça remonte encore, encore, et encore… avant que l’argent n’arrive enfin sur mon compte.

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