Matelassier du faubourg – Épisode 3

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Auteur : Les Matelassiers Le Briand

Jacques Le Briand n’avait pas particulièrement bien accueilli ma proposition de vouloir lui succéder à la tête de la maison de literie traditionnelle Le Briand. D’un « j’ai déjà présenté deux successeurs à mes clients, ça ira comme ça », il m’avait renvoyé dans les cordes.

Maison de literie traditionelle

Il m’avait déjà raconté l’histoire, et je comprenais sa mauvaise humeur. La certitude qu’un employé entré dans la maison de literie traditionnelle à 18 ans à peine serait son successeur l’habitait depuis toujours

Mais au moment d’en venir aux choses concrètes, parler gros sous, le ton était monté, monté… Ils étaient depuis assez fâchés. Ensuite, il avait embauché quelqu’un pensant à lui comme nouveau successeur, mais nouvel échec.

Le bonhomme était donc devenu méfiant. Pourtant il avait fini par m’entendre et me proposa un moyen terme : je viendrais travailler avec lui, et il jugerait sur pièces.

C’était au mois d’avril 1999, il fut convenu d’attendre le retour des congés, et je voyais tout se goupiller merveilleusement bien. Une employée enceinte partait en congé maternité je la remplacerais sans coûter un sous, et moi, j’avais encore le temps de finir les travaux de l’appartement avec le frangin.

Ainsi, au matin du premier lundi de septembre 1999 j’embauchais pour mon premier jour.

À peu près au même moment Emmanuel Laurentin devait être en train d’installer son émission sur les ondes, et tous les deux nous ne disposions que de peu de temps pour faire nos preuves: si ça ne marchait pas du premier coup, on me reconduirais vite vers la porte de sortie.

Alors je mis des bouchées doubles. Mais malgré une motivation et une concentration dont je pouvais dire qu’elles étaient exceptionnelles, tant je me surprenais moi-même d’en être capable, et surtout de m’y tenir, je restais ce débutant encore maladroit et trop lent.

D’une lenteur… J’avais beau mobiliser jusqu’à la dernière cellule de mon corps, ne plus lever un seul regard vers l’horloge pour ne me concentrer que sur chaque détail de chacun de mes gestes, las, ça me prenait toujours trois plombes de trop. Désespérant !

Heureusement il y avait les amis pour m’encourager. Au courant de mes déboires professionnels, ils prenaient des nouvelles chaque fois que possible.

Ainsi, lorsqu’au cours d’une soirée on me demandait : « et alors, qu’est-ce que tu deviens » ; et que j’expliquais mon projet, je voyais les regards s’illuminer. Et plus particulièrement ceux des amis d’amis d’amis, ceux que je ne connaissais pas, et qui ne me connaissais pas : « Ha ! ».

Tous ceux qui travaillent de leurs mains, et qui par un phénomène de rareté ont vu brutalement leur apostolat passer du prolétariat au métier d’art savent de quoi en retourne : l’admiration de tout ceux qui imaginent que ça doit être un bonheur que de pouvoir créer avec ces propres mains, n’a plus de borne. Ce n’avait pas été ma motivation mais le fait est que par ma future et encore hypothétique profession de matelassier – litier je passais pour exceptionnel.

Et puis, si ça n’avait pas suffi, par ma simple démarche, chacun saluait le fait que je sauvais une maison de literie traditionnelle plus que centenaire de la disparition, un patrimoine, que je travaillais à réduire le chômage en France, que je luttais contre la désindustrialisation, que je devenais porteur des valeurs dominantes de la société : je prenais des risques, j’entreprenais, j’investissais; participer activement à l’économie…

Imaginez la scène, dans un film de guerre, c’est la nuit, terrés au fonds d’une tranchée ou d’un trou d’obus, un groupe de soldats exténués doit repartir à l’assaut. Lentement, la caméra passe d’un visage à l’autre, on y lit la fatigue, la peur. Enfin, la caméra arrive sur le visage de celui qu’on sait être le héros du film. On le voit tout autan que ces camarades exténué, terrifié.

La caméra insiste, puis par un mouvement elle se transforme en un regard subjectif, le regard de chacun des camarades de misères qui comptent sur lui pour qu’il se lance le premier, pour rendre possible ce qui sinon ne le serait pas, ce qui les sauvera.

Alors lentement il se lève, il hésite encore un peu, puis, comme un miracle de la volonté, par une phrase, un geste, il galvanise le reste de la troupe, et ils s’élancent tous, déjà vainqueurs.

Merde ! Je m’étais mis tout seul dans cette situation-là. Et sauf à décevoir, je n’avais plus le choix : il fallait que j’y aille, coûte que coûte… Et en bombant le torse, qui plus est.

Les autres épisodes du feuilleton

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    Maison de literie traditionelle

    Il m’avait déjà raconté l’histoire, et je comprenais sa mauvaise humeur. La certitude qu’un employé entré dans la maison de literie traditionnelle à 18 ans à peine serait son successeur l’habitait depuis toujours

    Mais au moment d’en venir aux choses concrètes, parler gros sous, le ton était monté, monté… Ils étaient depuis assez fâchés. Ensuite, il avait embauché quelqu’un pensant à lui comme nouveau successeur, mais nouvel échec.

    Le bonhomme était donc devenu méfiant. Pourtant il avait fini par m’entendre et me proposa un moyen terme : je viendrais travailler avec lui, et il jugerait sur pièces.

    C’était au mois d’avril 1999, il fut convenu d’attendre le retour des congés, et je voyais tout se goupiller merveilleusement bien. Une employée enceinte partait en congé maternité je la remplacerais sans coûter un sous, et moi, j’avais encore le temps de finir les travaux de l’appartement avec le frangin.

    Ainsi, au matin du premier lundi de septembre 1999 j’embauchais pour mon premier jour.

    À peu près au même moment Emmanuel Laurentin devait être en train d’installer son émission sur les ondes, et tous les deux nous ne disposions que de peu de temps pour faire nos preuves: si ça ne marchait pas du premier coup, on me reconduirais vite vers la porte de sortie.

    Alors je mis des bouchées doubles. Mais malgré une motivation et une concentration dont je pouvais dire qu’elles étaient exceptionnelles, tant je me surprenais moi-même d’en être capable, et surtout de m’y tenir, je restais ce débutant encore maladroit et trop lent.

    D’une lenteur… J’avais beau mobiliser jusqu’à la dernière cellule de mon corps, ne plus lever un seul regard vers l’horloge pour ne me concentrer que sur chaque détail de chacun de mes gestes, las, ça me prenait toujours trois plombes de trop. Désespérant !

    Heureusement il y avait les amis pour m’encourager. Au courant de mes déboires professionnels, ils prenaient des nouvelles chaque fois que possible.

    Ainsi, lorsqu’au cours d’une soirée on me demandait : « et alors, qu’est-ce que tu deviens » ; et que j’expliquais mon projet, je voyais les regards s’illuminer. Et plus particulièrement ceux des amis d’amis d’amis, ceux que je ne connaissais pas, et qui ne me connaissais pas : « Ha ! ».

    Tous ceux qui travaillent de leurs mains, et qui par un phénomène de rareté ont vu brutalement leur apostolat passer du prolétariat au métier d’art savent de quoi en retourne : l’admiration de tout ceux qui imaginent que ça doit être un bonheur que de pouvoir créer avec ces propres mains, n’a plus de borne. Ce n’avait pas été ma motivation mais le fait est que par ma future et encore hypothétique profession de matelassier – litier je passais pour exceptionnel.

    Et puis, si ça n’avait pas suffi, par ma simple démarche, chacun saluait le fait que je sauvais une maison de literie traditionnelle plus que centenaire de la disparition, un patrimoine, que je travaillais à réduire le chômage en France, que je luttais contre la désindustrialisation, que je devenais porteur des valeurs dominantes de la société : je prenais des risques, j’entreprenais, j’investissais; participer activement à l’économie…

    Imaginez la scène, dans un film de guerre, c’est la nuit, terrés au fonds d’une tranchée ou d’un trou d’obus, un groupe de soldats exténués doit repartir à l’assaut. Lentement, la caméra passe d’un visage à l’autre, on y lit la fatigue, la peur. Enfin, la caméra arrive sur le visage de celui qu’on sait être le héros du film. On le voit tout autan que ces camarades exténué, terrifié.

    La caméra insiste, puis par un mouvement elle se transforme en un regard subjectif, le regard de chacun des camarades de misères qui comptent sur lui pour qu’il se lance le premier, pour rendre possible ce qui sinon ne le serait pas, ce qui les sauvera.

    Alors lentement il se lève, il hésite encore un peu, puis, comme un miracle de la volonté, par une phrase, un geste, il galvanise le reste de la troupe, et ils s’élancent tous, déjà vainqueurs.

    Merde ! Je m’étais mis tout seul dans cette situation-là. Et sauf à décevoir, je n’avais plus le choix : il fallait que j’y aille, coûte que coûte… Et en bombant le torse, qui plus est.

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      Jacques Le Briand n’avait pas particulièrement bien accueilli ma proposition de vouloir lui succéder à la tête de la maison de literie traditionnelle Le Briand. D’un « j’ai déjà présenté deux successeurs à mes clients, ça ira comme ça », il m’avait renvoyé dans les cordes.

      Maison de literie traditionelle

      Il m’avait déjà raconté l’histoire, et je comprenais sa mauvaise humeur. La certitude qu’un employé entré dans la maison de literie traditionnelle à 18 ans à peine serait son successeur l’habitait depuis toujours

      Mais au moment d’en venir aux choses concrètes, parler gros sous, le ton était monté, monté… Ils étaient depuis assez fâchés. Ensuite, il avait embauché quelqu’un pensant à lui comme nouveau successeur, mais nouvel échec.

      Le bonhomme était donc devenu méfiant. Pourtant il avait fini par m’entendre et me proposa un moyen terme : je viendrais travailler avec lui, et il jugerait sur pièces.

      C’était au mois d’avril 1999, il fut convenu d’attendre le retour des congés, et je voyais tout se goupiller merveilleusement bien. Une employée enceinte partait en congé maternité je la remplacerais sans coûter un sous, et moi, j’avais encore le temps de finir les travaux de l’appartement avec le frangin.

      Ainsi, au matin du premier lundi de septembre 1999 j’embauchais pour mon premier jour.

      À peu près au même moment Emmanuel Laurentin devait être en train d’installer son émission sur les ondes, et tous les deux nous ne disposions que de peu de temps pour faire nos preuves: si ça ne marchait pas du premier coup, on me reconduirais vite vers la porte de sortie.

      Alors je mis des bouchées doubles. Mais malgré une motivation et une concentration dont je pouvais dire qu’elles étaient exceptionnelles, tant je me surprenais moi-même d’en être capable, et surtout de m’y tenir, je restais ce débutant encore maladroit et trop lent.

      D’une lenteur… J’avais beau mobiliser jusqu’à la dernière cellule de mon corps, ne plus lever un seul regard vers l’horloge pour ne me concentrer que sur chaque détail de chacun de mes gestes, las, ça me prenait toujours trois plombes de trop. Désespérant !

      Heureusement il y avait les amis pour m’encourager. Au courant de mes déboires professionnels, ils prenaient des nouvelles chaque fois que possible.

      Ainsi, lorsqu’au cours d’une soirée on me demandait : « et alors, qu’est-ce que tu deviens » ; et que j’expliquais mon projet, je voyais les regards s’illuminer. Et plus particulièrement ceux des amis d’amis d’amis, ceux que je ne connaissais pas, et qui ne me connaissais pas : « Ha ! ».

      Tous ceux qui travaillent de leurs mains, et qui par un phénomène de rareté ont vu brutalement leur apostolat passer du prolétariat au métier d’art savent de quoi en retourne : l’admiration de tout ceux qui imaginent que ça doit être un bonheur que de pouvoir créer avec ces propres mains, n’a plus de borne. Ce n’avait pas été ma motivation mais le fait est que par ma future et encore hypothétique profession de matelassier – litier je passais pour exceptionnel.

      Et puis, si ça n’avait pas suffi, par ma simple démarche, chacun saluait le fait que je sauvais une maison de literie traditionnelle plus que centenaire de la disparition, un patrimoine, que je travaillais à réduire le chômage en France, que je luttais contre la désindustrialisation, que je devenais porteur des valeurs dominantes de la société : je prenais des risques, j’entreprenais, j’investissais; participer activement à l’économie…

      Imaginez la scène, dans un film de guerre, c’est la nuit, terrés au fonds d’une tranchée ou d’un trou d’obus, un groupe de soldats exténués doit repartir à l’assaut. Lentement, la caméra passe d’un visage à l’autre, on y lit la fatigue, la peur. Enfin, la caméra arrive sur le visage de celui qu’on sait être le héros du film. On le voit tout autan que ces camarades exténué, terrifié.

      La caméra insiste, puis par un mouvement elle se transforme en un regard subjectif, le regard de chacun des camarades de misères qui comptent sur lui pour qu’il se lance le premier, pour rendre possible ce qui sinon ne le serait pas, ce qui les sauvera.

      Alors lentement il se lève, il hésite encore un peu, puis, comme un miracle de la volonté, par une phrase, un geste, il galvanise le reste de la troupe, et ils s’élancent tous, déjà vainqueurs.

      Merde ! Je m’étais mis tout seul dans cette situation-là. Et sauf à décevoir, je n’avais plus le choix : il fallait que j’y aille, coûte que coûte… Et en bombant le torse, qui plus est.

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