Matelassier du faubourg – Episode 7

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Auteur : Les Matelassiers Le Briand

Avant de voir le compte des années passées prendre du poids, je m’endormais comme un jeune enfant. Il suffisait que je ressente la fatigue, que je m’allonge, et hop, dans les bras de Morphée !

atelier de matelassier

Alors, l’idée même de ce qu’était une bonne literie, m’était presque étrangère. Certes, je pouvais au couché remarquer qu’un lit était particulièrement accueillant, ou, tout au contraire… Mais ça ne m’était que de peu d’importance. Il y avait là un point de faiblesse dans mon engagement de chef d’entreprise.

Certes, j’avais de bonnes raisons de croire en mon produit, mais elles n’étaient pas de celles que le commun des mortels considère comme prioritaires.

J’avais posé sur le matelas de laine un regard d’ingénieur. Ce qui m’avait séduit, c’était l’étonnante ingéniosité de nos aïeux. Au fils des générations les gestes s’étaient perfectionnés pour parvenir à un optimum : la quantité d’énergie dépensée est minimum au regard du résultat obtenue.

Avec trois fois rien comme outillage, sur un volume et un poids de laine qui dépasse de loin les possibilités de sa seule force physique, le matelassier garde toujours le contrôle. Tout ça se faisant à main levée…

Si effectivement l’instinct est plus long à développer que l’apprentissage du bon usage du mètre à ruban et de la calculette, là, je découvrais l’incroyable productivité et l’étonnante précision dont étaient capable les ouvriers litiers. Dans une logique de course de fond, le travailleur s’économise pour pouvoir durer longtemps, et ce, sans jamais sacrifier au soin qu’il apporte à son ouvrage.

Si de tels arguments ne suffisaient pas à convaincre le quidam, alors de constater que la laine quasiment devenue aujourd’hui un déchet de l’élevage ovins, retrouvait ici une valeur d’usage, et donc, une valeur marchande, n’était ce pas plus que concluant ?

Puisque l’agriculture française, avec la disparition programmée de la PAC, voit ces débouchés rétrécir comme peau de chagrin, redéployer un marché comme celui de la literie traditionnelle ne me paraissait pas superflue.

Et quand en plus de tout ça, vous constatez que la laine d’un matelas arrivé en fin de vie, sera recyclé à 100% dans la fabrication d’un nouveau matelas, tout aussi confortable et durable que le précédent, que dire de plus? C’est du développement durable dans toute la pureté du concept. Il n’y a donc plus qu’à…

Ma femme depuis quelques années rêvait d’avoir un grand lit. Enfin, plus grand que celui que nous avions, qui n’était lui, que de taille normale. Moi, un peu par avarice, un peu par manque de conviction quant à l’intérêt d’un tel achat, je traînais des pieds. Maintenant que j’étais devenu fabricant, il me devenait difficile de réitérer un nouveau refus, même si la chambre était un peu exiguë.

Alors puisque le passage de témoin se faisait entre mon prédécesseur et moi au moment des fêtes de fin d’année, j’avais imaginé une solution rigolote.

Ce lit, j’allais le fabriquer, puis, avec la complicité de mon fils qui avait une dizaine d’années, nous ferions un joli emballage avant de mettre les immenses paquets au pied du sapin. C’était à la fois une manière symbolique de marquer le passage, un gag pour les enfants, et une bonne surprise pour ma petite femme. Et ça avait marché, sur tous les tableaux, au-delà même de mes espoirs.

Restait bien une petite incertitude sur le confort effectif. Pour moi pas de soucis, j’en étais sûre, tout irait pour le mieux, mais pour ma femme, n’y aurait-il pas une incompatibilité qui gâcherait son sommeil.

Rien de grave, m’étais-je dit, si ça ne lui plait pas, le matelas retournera à l’atelier de matelassier immédiatement pour y être démonté, et dès le lendemain je n’y penserais même plus.

Pourtant, au bout de quelques jours, ma femme revint sur le sujet. Tu sais, me dit-elle, depuis que tu nous as fait ce matelas, je n’ai plus mal au dos!

J’ignorais ce mal de dos. Rien de grave m’avait-elle répondu, mais depuis des années, tous les matins je me réveille avec un point un peu sensible, pas vraiment douloureux, mais ça coince, je suis comme rouillée là. C’est là, au creux des reins. Mais au bout d’une demi-heure, ça passe, le temps de prendre mon café. Et bien depuis le changement de lit, plus rien, je me réveille immédiatement en pleine forme.

Là, j’étais bluffé ! Avec mon sommeil d’ange, je ne discernais pas clairement tous les contours du problème. Par contre, je mesurais la puissance du pouvoir que me donnait mon métier sans pourtant en comprendre tous les ressorts. Et si effectivement le bien être de mes clients ne dépendait que de moi, je tremblais de manquer de prise sur cette réalité.

Ce métier, de matelassier-litier, d’abord considérer comme un savoir-faire purement technique, et j’estimais avoir bien avancé sur ce terrain-là, et bien je découvrais sa vraie grandeur.

Là où était toute la valeur ajoutée que ma nouvelle profession d’artisan apportait à tout un chacun, c’était de fournir du bien-être. Tout simplement aurais-je envie de dire… mais, chaque utilisateur est un cas particulier…

De ce savoir, mon prédécesseur ne m’avait jamais même parlé. Pour ces vieux métiers, l’apprentissage, et là le mot prend toute son importance, consistait à faire corps avec la profession elle-même, dans toute sa complexité, toute son étendu.

Ça se faisait par immersion longue, par osmose, doucement, à peine d’explication, juste l’exemple des aînés, qu’il fallait suivre tant bien que mal. À l’arrivée, et si on avait tenu le coup, ça s’appelait tout simplement l’expérience.

Et moi, qui en quelques mois avais voulu brûler les étapes, je découvrais au moment même de prendre les rênes de l’atelier de matelassier Le Briand, que mon ignorance était encore plus grande que je ne le craignais.

Alors, maintenant que j’étais seul au commande, aurais-je suffisamment de coffre et de pugnacité pour tout surmonter, tout contrôler?

Les autres épisodes du feuilleton

    Avant de voir le compte des années passées prendre du poids, je m’endormais comme un jeune enfant. Il suffisait que je ressente la fatigue, que je m’allonge, et hop, dans les bras de Morphée !

    atelier de matelassier

    Alors, l’idée même de ce qu’était une bonne literie, m’était presque étrangère. Certes, je pouvais au couché remarquer qu’un lit était particulièrement accueillant, ou, tout au contraire… Mais ça ne m’était que de peu d’importance. Il y avait là un point de faiblesse dans mon engagement de chef d’entreprise.

    Certes, j’avais de bonnes raisons de croire en mon produit, mais elles n’étaient pas de celles que le commun des mortels considère comme prioritaires.

    J’avais posé sur le matelas de laine un regard d’ingénieur. Ce qui m’avait séduit, c’était l’étonnante ingéniosité de nos aïeux. Au fils des générations les gestes s’étaient perfectionnés pour parvenir à un optimum : la quantité d’énergie dépensée est minimum au regard du résultat obtenue.

    Avec trois fois rien comme outillage, sur un volume et un poids de laine qui dépasse de loin les possibilités de sa seule force physique, le matelassier garde toujours le contrôle. Tout ça se faisant à main levée…

    Si effectivement l’instinct est plus long à développer que l’apprentissage du bon usage du mètre à ruban et de la calculette, là, je découvrais l’incroyable productivité et l’étonnante précision dont étaient capable les ouvriers litiers. Dans une logique de course de fond, le travailleur s’économise pour pouvoir durer longtemps, et ce, sans jamais sacrifier au soin qu’il apporte à son ouvrage.

    Si de tels arguments ne suffisaient pas à convaincre le quidam, alors de constater que la laine quasiment devenue aujourd’hui un déchet de l’élevage ovins, retrouvait ici une valeur d’usage, et donc, une valeur marchande, n’était ce pas plus que concluant ?

    Puisque l’agriculture française, avec la disparition programmée de la PAC, voit ces débouchés rétrécir comme peau de chagrin, redéployer un marché comme celui de la literie traditionnelle ne me paraissait pas superflue.

    Et quand en plus de tout ça, vous constatez que la laine d’un matelas arrivé en fin de vie, sera recyclé à 100% dans la fabrication d’un nouveau matelas, tout aussi confortable et durable que le précédent, que dire de plus? C’est du développement durable dans toute la pureté du concept. Il n’y a donc plus qu’à…

    Ma femme depuis quelques années rêvait d’avoir un grand lit. Enfin, plus grand que celui que nous avions, qui n’était lui, que de taille normale. Moi, un peu par avarice, un peu par manque de conviction quant à l’intérêt d’un tel achat, je traînais des pieds. Maintenant que j’étais devenu fabricant, il me devenait difficile de réitérer un nouveau refus, même si la chambre était un peu exiguë.

    Alors puisque le passage de témoin se faisait entre mon prédécesseur et moi au moment des fêtes de fin d’année, j’avais imaginé une solution rigolote.

    Ce lit, j’allais le fabriquer, puis, avec la complicité de mon fils qui avait une dizaine d’années, nous ferions un joli emballage avant de mettre les immenses paquets au pied du sapin. C’était à la fois une manière symbolique de marquer le passage, un gag pour les enfants, et une bonne surprise pour ma petite femme. Et ça avait marché, sur tous les tableaux, au-delà même de mes espoirs.

    Restait bien une petite incertitude sur le confort effectif. Pour moi pas de soucis, j’en étais sûre, tout irait pour le mieux, mais pour ma femme, n’y aurait-il pas une incompatibilité qui gâcherait son sommeil.

    Rien de grave, m’étais-je dit, si ça ne lui plait pas, le matelas retournera à l’atelier de matelassier immédiatement pour y être démonté, et dès le lendemain je n’y penserais même plus.

    Pourtant, au bout de quelques jours, ma femme revint sur le sujet. Tu sais, me dit-elle, depuis que tu nous as fait ce matelas, je n’ai plus mal au dos!

    J’ignorais ce mal de dos. Rien de grave m’avait-elle répondu, mais depuis des années, tous les matins je me réveille avec un point un peu sensible, pas vraiment douloureux, mais ça coince, je suis comme rouillée là. C’est là, au creux des reins. Mais au bout d’une demi-heure, ça passe, le temps de prendre mon café. Et bien depuis le changement de lit, plus rien, je me réveille immédiatement en pleine forme.

    Là, j’étais bluffé ! Avec mon sommeil d’ange, je ne discernais pas clairement tous les contours du problème. Par contre, je mesurais la puissance du pouvoir que me donnait mon métier sans pourtant en comprendre tous les ressorts. Et si effectivement le bien être de mes clients ne dépendait que de moi, je tremblais de manquer de prise sur cette réalité.

    Ce métier, de matelassier-litier, d’abord considérer comme un savoir-faire purement technique, et j’estimais avoir bien avancé sur ce terrain-là, et bien je découvrais sa vraie grandeur.

    Là où était toute la valeur ajoutée que ma nouvelle profession d’artisan apportait à tout un chacun, c’était de fournir du bien-être. Tout simplement aurais-je envie de dire… mais, chaque utilisateur est un cas particulier…

    De ce savoir, mon prédécesseur ne m’avait jamais même parlé. Pour ces vieux métiers, l’apprentissage, et là le mot prend toute son importance, consistait à faire corps avec la profession elle-même, dans toute sa complexité, toute son étendu.

    Ça se faisait par immersion longue, par osmose, doucement, à peine d’explication, juste l’exemple des aînés, qu’il fallait suivre tant bien que mal. À l’arrivée, et si on avait tenu le coup, ça s’appelait tout simplement l’expérience.

    Et moi, qui en quelques mois avais voulu brûler les étapes, je découvrais au moment même de prendre les rênes de l’atelier de matelassier Le Briand, que mon ignorance était encore plus grande que je ne le craignais.

    Alors, maintenant que j’étais seul au commande, aurais-je suffisamment de coffre et de pugnacité pour tout surmonter, tout contrôler?

    Les autres épisodes du feuilleton

      Avant de voir le compte des années passées prendre du poids, je m’endormais comme un jeune enfant. Il suffisait que je ressente la fatigue, que je m’allonge, et hop, dans les bras de Morphée !

      atelier de matelassier

      Alors, l’idée même de ce qu’était une bonne literie, m’était presque étrangère. Certes, je pouvais au couché remarquer qu’un lit était particulièrement accueillant, ou, tout au contraire… Mais ça ne m’était que de peu d’importance. Il y avait là un point de faiblesse dans mon engagement de chef d’entreprise.

      Certes, j’avais de bonnes raisons de croire en mon produit, mais elles n’étaient pas de celles que le commun des mortels considère comme prioritaires.

      J’avais posé sur le matelas de laine un regard d’ingénieur. Ce qui m’avait séduit, c’était l’étonnante ingéniosité de nos aïeux. Au fils des générations les gestes s’étaient perfectionnés pour parvenir à un optimum : la quantité d’énergie dépensée est minimum au regard du résultat obtenue.

      Avec trois fois rien comme outillage, sur un volume et un poids de laine qui dépasse de loin les possibilités de sa seule force physique, le matelassier garde toujours le contrôle. Tout ça se faisant à main levée…

      Si effectivement l’instinct est plus long à développer que l’apprentissage du bon usage du mètre à ruban et de la calculette, là, je découvrais l’incroyable productivité et l’étonnante précision dont étaient capable les ouvriers litiers. Dans une logique de course de fond, le travailleur s’économise pour pouvoir durer longtemps, et ce, sans jamais sacrifier au soin qu’il apporte à son ouvrage.

      Si de tels arguments ne suffisaient pas à convaincre le quidam, alors de constater que la laine quasiment devenue aujourd’hui un déchet de l’élevage ovins, retrouvait ici une valeur d’usage, et donc, une valeur marchande, n’était ce pas plus que concluant ?

      Puisque l’agriculture française, avec la disparition programmée de la PAC, voit ces débouchés rétrécir comme peau de chagrin, redéployer un marché comme celui de la literie traditionnelle ne me paraissait pas superflue.

      Et quand en plus de tout ça, vous constatez que la laine d’un matelas arrivé en fin de vie, sera recyclé à 100% dans la fabrication d’un nouveau matelas, tout aussi confortable et durable que le précédent, que dire de plus? C’est du développement durable dans toute la pureté du concept. Il n’y a donc plus qu’à…

      Ma femme depuis quelques années rêvait d’avoir un grand lit. Enfin, plus grand que celui que nous avions, qui n’était lui, que de taille normale. Moi, un peu par avarice, un peu par manque de conviction quant à l’intérêt d’un tel achat, je traînais des pieds. Maintenant que j’étais devenu fabricant, il me devenait difficile de réitérer un nouveau refus, même si la chambre était un peu exiguë.

      Alors puisque le passage de témoin se faisait entre mon prédécesseur et moi au moment des fêtes de fin d’année, j’avais imaginé une solution rigolote.

      Ce lit, j’allais le fabriquer, puis, avec la complicité de mon fils qui avait une dizaine d’années, nous ferions un joli emballage avant de mettre les immenses paquets au pied du sapin. C’était à la fois une manière symbolique de marquer le passage, un gag pour les enfants, et une bonne surprise pour ma petite femme. Et ça avait marché, sur tous les tableaux, au-delà même de mes espoirs.

      Restait bien une petite incertitude sur le confort effectif. Pour moi pas de soucis, j’en étais sûre, tout irait pour le mieux, mais pour ma femme, n’y aurait-il pas une incompatibilité qui gâcherait son sommeil.

      Rien de grave, m’étais-je dit, si ça ne lui plait pas, le matelas retournera à l’atelier de matelassier immédiatement pour y être démonté, et dès le lendemain je n’y penserais même plus.

      Pourtant, au bout de quelques jours, ma femme revint sur le sujet. Tu sais, me dit-elle, depuis que tu nous as fait ce matelas, je n’ai plus mal au dos!

      J’ignorais ce mal de dos. Rien de grave m’avait-elle répondu, mais depuis des années, tous les matins je me réveille avec un point un peu sensible, pas vraiment douloureux, mais ça coince, je suis comme rouillée là. C’est là, au creux des reins. Mais au bout d’une demi-heure, ça passe, le temps de prendre mon café. Et bien depuis le changement de lit, plus rien, je me réveille immédiatement en pleine forme.

      Là, j’étais bluffé ! Avec mon sommeil d’ange, je ne discernais pas clairement tous les contours du problème. Par contre, je mesurais la puissance du pouvoir que me donnait mon métier sans pourtant en comprendre tous les ressorts. Et si effectivement le bien être de mes clients ne dépendait que de moi, je tremblais de manquer de prise sur cette réalité.

      Ce métier, de matelassier-litier, d’abord considérer comme un savoir-faire purement technique, et j’estimais avoir bien avancé sur ce terrain-là, et bien je découvrais sa vraie grandeur.

      Là où était toute la valeur ajoutée que ma nouvelle profession d’artisan apportait à tout un chacun, c’était de fournir du bien-être. Tout simplement aurais-je envie de dire… mais, chaque utilisateur est un cas particulier…

      De ce savoir, mon prédécesseur ne m’avait jamais même parlé. Pour ces vieux métiers, l’apprentissage, et là le mot prend toute son importance, consistait à faire corps avec la profession elle-même, dans toute sa complexité, toute son étendu.

      Ça se faisait par immersion longue, par osmose, doucement, à peine d’explication, juste l’exemple des aînés, qu’il fallait suivre tant bien que mal. À l’arrivée, et si on avait tenu le coup, ça s’appelait tout simplement l’expérience.

      Et moi, qui en quelques mois avais voulu brûler les étapes, je découvrais au moment même de prendre les rênes de l’atelier de matelassier Le Briand, que mon ignorance était encore plus grande que je ne le craignais.

      Alors, maintenant que j’étais seul au commande, aurais-je suffisamment de coffre et de pugnacité pour tout surmonter, tout contrôler?

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